Le contrôle juridique des armes : ce que les entreprises de défense doivent savoir

Le droit international humanitaire (DIH) impose aux États de s'assurer que l'utilisation de nouvelles armes, moyens ou méthodes de guerre respecte les normes juridiques. Cette obligation inclut la réalisation d’un examen de licéité des armes avant leur développement, leur acquisition ou leur déploiement. Pour les entreprises qui conçoivent des technologies militaires, intégrer cet examen dès la phase de recherche et développement (R&D) est à la fois essentiel et stratégique.

Pourquoi l’industrie de la défense doit-elle prioriser l’examen de licéité des armes ?

Les fabricants d’équipements militaires doivent intégrer l’examen de licéité dès les premières étapes du processus de développement. Bien que des activités comme la fabrication, la commercialisation ou l’intermédiation d’armes nécessitent des autorisations spécifiques (par exemple, l’AFCI), l’examen de licéité garantit que les forces armées peuvent acquérir et utiliser les technologies sans enfreindre le DIH.

Les armes qui ne passent pas l’examen de licéité sont exclues des procédures d'acquisition. En prenant en compte ces contraintes dès la phase de conception, les entreprises peuvent développer des technologies répondant aux exigences des forces armées et effectuer les ajustements nécessaires.

Les armes et technologies interdites par le droit international humanitaire

Deux cadres juridiques principaux limitent les types d'armes que les États peuvent utiliser :

  1. Principes généraux du droit des conflits armés
    Ces principes universels s'appliquent à tous les États en vertu du droit international coutumier.

  2. Traités et conventions spécifiques
    Ces accords ne lient que les États qui les ont ratifiés et étendent souvent les interdictions au-delà du droit coutumier.

Les armes interdites par les principes généraux du droit des conflits armés

L’examen de licéité prend en compte des principes clés qui régissent les conflits armés, tels que l’interdiction des souffrances inutiles, la distinction entre civils et combattants, et la protection de l’environnement.

1. Interdiction des souffrances inutiles

Les armes ne doivent pas causer de blessures superflues ou de souffrances inutiles. L’article 35 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève interdit :

  • Poison ;

  • Lasers aveuglants ;

  • Armes qui dispersent des fragments nocifs, tels que des éclats de verre ;

  • Les armes incendiaires, telles que les lance-flammes et le napalm.

2. Principe de distinction

Les armes doivent permettre aux forces armées de distinguer les combattants des civils. Les armes ne répondant pas à ce critère sont illégales. Exemples :

  • Missiles dépourvus de systèmes de navigation ou dont le périmètre d'attaque est trop large ;

  • Des armes bactériologiques aux effets incontrôlables ;

  • Utilisation indiscriminée de mines terrestres.

3. Protection de l'environnement

Les armes causant des dommages environnementaux étendus, durables et graves sont interdites par l’article 35(3) du Protocole additionnel I et la Convention ENMOD. Cela inclut les technologies visant à modifier le climat à des fins militaires.

Armes interdites par les traités et conventions

Outre les principes généraux, des traités spécifiques introduisent des interdictions supplémentaires. Parmi les instruments clés figurent :

  • La convention sur les armes biologiques et à toxines de 1972 (BTWC);

  • La convention sur les armes chimiques de 1993;

  • La convention de 2008 sur les armes à sous-munitions.

Ces traités interdisent notamment :

  • Les armes biologiques et chimiques ;

  • Les armes à sous-munitions ;

  • Les mines antipersonnel ;

  • Les poisons et lasers aveuglants.

La France, en tant qu’État partie, veille à respecter ces instruments par le biais de ses procédures d’examen de licéité.

Comment fonctionne l’examen de licéité des armes ?

Chaque État mène son examen de licéité selon ses propres procédures. En France, ce processus est décrit dans l’instruction ministérielle n° 6255/ARM/CAB du 31 octobre 2019.

Portée de l’examen de licéité

L’examen couvre tous les dispositifs offensifs et défensifs conçus pour tuer, endommager ou neutraliser des personnes ou des biens. Cela inclut :

  • Les armes légères et lourdes ;

  • les armes de petit calibre ;

  • Les systèmes d'armes et doctrines d'utilisation associées.

Une arme, un moyen ou une méthode est considéré comme "nouveau" s'il n'est pas déjà utilisé par les forces armées de l'État qui l'examine.

Étapes de l'examen

  1. Vérification préliminaire
    Réalisée par l’État-Major des Armées (EMA) et la Direction Générale de l’Armement (DGA), cette étape détermine si la technologie entre dans le champ de l’examen.

  2. Examen approfondi
    Réalisé par un comité composé de l’EMA, de la DGA et de la Direction des Affaires Juridiques. Trois issues sont possibles :

    • Approbation ;

    • Approbation conditionnelle avec modifications techniques ;

    • Rejet pour cause d'illégalité inhérente.

Les défis pour les entreprises face à l’examen de licéité

Les entreprises de technologies militaires rencontrent plusieurs défis dans l’intégration de l’examen de licéité :

  1. Procédures variées
    Chaque État possède des exigences propres. Les entreprises ciblant plusieurs marchés doivent se conformer à des standards différents.

  2. Interprétations divergentes
    Les principes comme l’interdiction des souffrances inutiles peuvent être interprétés différemment selon les États. Par exemple :

    • Certains textes interdisent les armes susceptibles de causer des souffrances inutiles, tandis que d'autres interdisent les armes conçues pouren causer.

    • Les États-Unis ne reconnaissent pas certaines dispositions du droit international humanitaire, telles que l'article 35 (3), du protocole additionnel I. 

  3. Allocation des ressources
    Intégrer les exigences juridiques dès la R&D permet d’allouer efficacement les ressources et de réduire les risques de non-conformité.

13. Recommandations pour les entreprises de défense développant des technologies militaires

Pour surmonter ces défis et assurer leur conformité, les entreprises doivent suivre ces recommandations :

1. Intégrer l’examen de licéité dès la R&D

Évaluer la légalité des technologies dès la conception permet d’éviter des modifications coûteuses à des étapes avancées.

2. Réaliser des pré-évaluations internes

Mettre en place un processus interne pour vérifier la conformité avant l’examen officiel peut faire gagner du temps.

3. Collaborer avec des experts juridiques

Travailler avec des consultants spécialisés en DIH peut aider à naviguer dans les complexités des réglementations.

4. Suivre les développements du droit international

Rester informé des modifications des traités et des nouvelles interprétations des principes clés est crucial.

5. Élaborer des stratégies multijuridictionnelles

Si l’entreprise cible plusieurs marchés, elle doit comprendre les différences dans les processus d’examen des armes entre les juridictions.

6. Documenter toutes les étapes

Conserver des dossiers détaillés sur la conformité peut protéger l’entreprise en cas de litige.

7. Former les équipes de R&D

Sensibiliser les équipes techniques au DIH et aux exigences de l’examen de licéité permet de concevoir des technologies conformes dès le départ.

Conclusion : pourquoi les entreprises de défense doivent prioriser l’examen de licéité des armes

Intégrer l’examen de licéité des armes dès la phase de R&D est essentiel pour les entreprises de défense. En respectant les normes du DIH et les processus propres à chaque État, elles réduisent leurs risques juridiques, renforcent leur crédibilité et améliorent leur préparation au marché. À mesure que les technologies militaires évoluent, cet examen devient indispensable pour garantir un développement éthique et conforme à la loi.

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