Le Guide des Nations Unies sur les diligences raisonnables renforcées : entreprise et droits humains dans le contexte du conflit armé

 

Les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux Entreprises et aux Droits de l'Homme sont devenus un cadre de référence pour les entreprises souhaitant et devant prendre en compte les droits humains et leur impact sur ceux-ci.

Posant le postulat d’un risque élevé que « des entreprises soient impliquées dans de graves violations des droits humains […] dans des contextes marqués par des conflits armés et d’autres situations de violence généralisée », le Programme des Nations Unies pour le Développement et le Groupe de Travail sur les Entreprises et les Droits de l’Homme ont esquissé en 2022 un Guide au Renforcement de la diligence raisonnable des entreprises en matière de droits humains dans les contextes marqués par des conflits.  

Ce Guide, dont l’objectif est « d’éviter ou d’atténuer l’impact négatif [sur les droits humains] qu’une entreprise peut causer, auquel elle peut contribuer ou être directement liée », pourra se faire le compagnon des entreprises évoluant dans des contextes sensibles.

Pourquoi mettre en œuvre des diligences renforcées ?

De nature non-contraignante, le Guide s’adresse en premier lieu aux entreprises volontaires, qui souhaitent comprendre le risque que leur présence en zone sensible fait peser sur un conflit et sur les droits humains, et mettre en œuvre des mesures aptes à atténuer ou éliminer ce risque.

Ensuite, si la loi sur le devoir de vigilance ne fait pas référence au contexte de conflit armé, de fait, des diligences raisonnables renforcées s’imposent aux entreprises entrant dans son champ d’application qui évoluent en zone sensible. Elles permettront, en effet, de prendre en compte un contexte qui, par nature, favorise les atteintes aux droits humains, et que leur plan de vigilance soit en mesure effectivement d’« identifier les risques et […] prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales ». Le Guide pourra accompagner les entreprises dans cette situation.

Mettre en œuvre des diligences raisonnables renforcées peut également venir au soutien de la prévention et de la gestion d’autres risques multipliés dans un contexte de conflit armé, en particulier juridique, financier, et réputationnel. 

Enfin, comprendre les instruments de soft law et faire le choix de les incorporer permet à l’entreprise de mettre en œuvre à un rythme qui lui sied des recommandations qui peuvent être les précurseurs d'évolutions législatives à venir. Le guide de l'OCDE sur les minerais de conflitavait ainsi profondément inspiré lerèglement européen sur l'importation de minerais provenant de zones de conflit et à haut risque, et les Principes Directeurs des Nations Unies, la loi française sur le devoir de vigilance. 

Les mesures recommandées par le Guide donnent donc aux entreprises confrontées au conflit armé une boussole qui pourra se révéler la bienvenue.

 

Dans quels cas mettre en œuvre des diligences raisonnables renforcées

Le Programme a pensé son Guide dans le but d’accompagner les entreprises confrontées non seulement aux situations traditionnelles de conflit armé, mais également à des contextes de « violence généralisée », et de « situations post-conflit ». Cette position est en effet opportune tant les défis apparents dans ces divers contextes peuvent présenter de similitudes.

En outre, le Guide met au profit des entreprises son expertise du conflit pour les inviter à tenir compte des signaux qui peuvent précéder une situation de violence ou un conflit armé. Parmi ces signaux, qui doivent alerter sur la probabilité d’occurrence de violences, le Guide liste ainsi des événements tels :

  • la proclamation d'un état d'urgence ;

  • la multiplication des discours de haine ciblant des groupes spécifiques ;

  • l'apparition répétée de groupes paramilitaires en public ;

  • ou encore le déplacement de population à l'intérieur du pays.

  • Si ces signaux paraissent être le monopole de contextes fragiles auquel il pourrait paraître superflu d’accorder de l’attention en l’absence d’un conflit, la nature imprévisible du conflit, conjuguée aux développements en cours en Europe, en Indo-Pacifique, au Sahel, ou encore dans la Corne de l’Afrique, justifient de les incorporer aux processus de gestion des risques des entreprises ayant des activités sur un nombre croissant de territoires.

 

Un processus en quatre étapes

En reflet des Principes Directeurs, les recommandations du Guide s’articulent autour de quatre étapes :

  • l'identification et l'évaluation ;

  • la mise en œuvre des mesures ;

  • le suivi de l'efficacité des mesures prises ;

  • et la communication sur la façon dont les risques et les impacts ont été gérés.

 

Identification et évaluation

L’identification et l’évaluation des conflits réels et potentiels et des conséquences qu'ils peuvent avoir sur les droits humains est le premier pilier sur lequel le Guide appuie ses diligences raisonnables renforcées. En particulier, il invite les entreprises à interroger les dynamiques du conflit et à le comprendre. Pour cela, il propose aux entreprises une série de questions à explorer autour de cinq axes :

  • le contexte ;

  • les parties au conflit ;

  • les causes du conflit, à la fois immédiates et structurelles ;

  • les développements récents ayant marqué le conflit ;

  • l’utilisation faite des réseaux sociaux.

Au-delà de la compréhension par l’entreprise du conflit, l’objectif du Guide est surtout de faire comprendre aux entreprises l'impact que leurs opérations peuvent avoir sur celui-ci. À cette fin, le Guide se repose sur les préconisations du Guide OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises et invite les entreprises à bâtir leur plan d’action sur la base de leurs réponses à une série de trois questions :

  • Y a-t-il un impact négatif réel ou potentiel sur les droits humains ou le conflit lié aux activités (actions ou omissions), aux produits ou aux services de l’entreprise ?

  • Si oui, les activités de l’entreprise (y compris les actions ou les omissions) augmentent-elles le risque de cet impact ?

  • Si oui, les activités de l’entreprise (y compris les actions ou les omissions) suffiraient-elles à elles seules à entraîner cet impact ?

Les réponses à cette série de questions serviront de cadre pour dessiner les mesures qu’il pourra être attendu de l’entreprise qu’elle mette en œuvre, en déterminant si celle-ci est « directement liée » à l’abus, y « contribue » ou le « cause ». 

 

Mise en œuvre des mesures

En miroir aux Principes Directeurs, et en particulier au Principe Directeur 19, le Guide fait reposer le niveau d'actions que l'entreprise devra prendre sur son impact sur le conflit, en fonction de ce qu'elle a un « lien direct » avec, contribue à, ou cause « l’impact négatif ».

L'entreprise qui serait « directement liée à l’impact négatif » devra identifier une façon de faire levier, c'est-à-dire d’utiliser son influence afin de promouvoir une alternative aux violences. Pour comprendre l’influence qu’une entreprise peut exercer, elle pourra se tourner vers le Guide interprétatif des Principes Directeurs, qui en avait fourni une description exhaustive.

Le deuxième niveau d’implication serait celui d’une entreprise qui « contribuerait » à l’impact négatif. Elle serait, pour sa part, tenue de prendre des mesures visant à, et d’utiliser son influence pour, faire cesser sa contribution. Pour cela, le Guide recommande la coordination entre les entreprises internationales ainsi qu'avec les parties prenantes au conflit.

Le troisième, et dernier niveau d’implication serait celui d’une entreprise qui « cause[rait] ou [serait] susceptible de causer un impact négatif sur les droits humains ». Celle-ci serait alors tenue de « prendre les mesures appropriées pour faire cesser ou prévenir et remédier à cet impact ».

Enfin, comme les Principes Directeurs, le Guide invite dans un deuxième temps les entreprises à organiser leur action pour prioriser de remédier aux impacts les plus significatifs, déterminés sur la base de trois facteurs : portée, échelle et irrémédiabilité.

Les entreprises ne pourront s’en remettre au Guide pour déterminer les mesures dont l’adoption est prodiguée, une réserve compréhensible en raison de la particularité de chaque situation, et que l’on aura pris l’habitude de constater dans les instruments promouvant une approche par le risque. Cette latitude donnera toutefois vraisemblablement lieu à de profondes divergences d’interprétation.

À défaut d’orienter les entreprises sur les mesures qu’elles pourront mettre en œuvre, le Guide fournit des recommandations pratiques pour augmenter leurs chances de succès, dont certaines pourront s’avérer utiles aux entreprises qui ne seraient pas en mesure de se faire accompagner par des conseils dédiés. Parmi celles-ci, celle d’informer l’ensemble du personnel des mesures d’atténuation mises en œuvre, celle de prendre en compte la diversité ethnique, religieuse, sociale et politique de la région, ou encore celle d’entretenir un dialogue avec les parties prenantes.

 

Suivi de l'efficacité des mesures

Le Guide insiste sur l'importance d'un suivi des mesures mises en œuvre par l'entreprise. Ce suivi reposera sur des indicateurs conçus par l'entreprise qui permettront d'évaluer les efforts déployés, et les améliorations requises le cas échéant.

Ce suivi aura aussi le rôle d'archiver l'ensemble des réflexions qui auront éclairé les décisions de l'entreprise. 

 

Communication

Le Guide met, enfin, l'accent sur la communication qu’il encourage l'entreprise à mettre en œuvre. Celle-ci aura pour objectif d’échanger avec les parties prenantes, mais également les actionnaires ou la société civile, à l'aide de format accessible à chacun respectivement. Le Guide invite donc les entreprises à tenir compte des potentielles barrières à la communication liées à l'alphabétisation, à la langue ou aux infrastructures.

 

Autres recommandations

Le Guide fournit, au soutien des quatre piliers qui forment la fondation de son approche – identification et évaluation, action, suivi et communication – un ensemble de recommandations pensées, semble-t-il, pour en accroître les chances de succès. Les entreprises sont ainsi invitées à engager les parties prenantes, à mettre en œuvre des mécanismes de réclamation, ou encore à renforcer leurs capacités institutionnelles.  

 

Les diligences renforcées pour prévenir les autres risques découlant des opérations en zone sensible

Les diligences raisonnables renforcées recommandées par le Guide s’avèreront précieuses pour les entreprises évoluant dans un contexte sensible.

Pour celles entrant dans le champ d’application de la loi sur le devoir de vigilance, s’inspirer des diligences raisonnables renforcées pourra être un atout précieux d’une part pour la mise en conformité avec leurs obligations, et d’autre part pour en faire état, et faciliter la communication avec les parties prenantes telles que les associations et autres observateurs.

S’inspirer des diligences raisonnables renforcées peut également venir au soutien de la politique de prévention et de gestion des risques, notamment juridique, que mettent en œuvre les entreprises opérant en zone sensible au conflit. Il sera toutefois indispensable de ne pas perdre de vue la finalité du Guide, qui réside dans la protection des droits humains. Les mesures qu’il recommande ne pourront, dès lors, être considérées comme suffisant à préserver l’intégrité juridique et financière des entreprises confrontées au défi du conflit armé.

 

Conclusion

Comme lorsque les entreprises avaient été requises d’intégrer leur impact sur les droits humains, le progrès que le Guide recommande de faire aux entreprises opérant en zones sensibles est significatif. 

L’apport le plus notoire, et peut-être même la raison d’être du Guide, tient toutefois probablement dans la compréhension qu’il encourage les entreprises à développer du conflit et des dynamiques qui l’accompagnent, et qui nécessitera le développement d’une expertise.

Enfin, si le Guide fournit des indications précieuses aux entreprises évoluant en zone sensible, il ne doit pas faire oublier que ce contexte fait peser sur elles d’autres risques, notamment juridiques, que celui d’impacter les droits humains. Les mesures qu’il recommande ne peuvent dès lors être l’alpha et l’oméga d’une stratégie robuste pour opérer en zone sensible.

 
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