Should I stay or should I go : un guide étape par étape

 

L'exploitation d'une entreprise dans des zones sensibles aux conflits nécessite une stratégie spécifique. Il s'agit de tenir compte de la complexité de la situation, tout en trouvant un équilibre efficace entre les objectifs de l'entreprise et son intégrité juridique, financière et physique, ainsi que celle de ses employés. Un plan de sortie prévoyant quand et comment elle quittera la zone fera partie intégrante de cette stratégie.

 

Ce guide, consacré au risque juridique, vise à combler le vide que l'absence d'une telle stratégie a créé pour les entreprises opérant dans des zones sensibles aux conflits et confrontées à une crise.  



1. Comprendre le droit international, régional et national pertinent.

Commencez par un aperçu complet du droit applicable aux conflits armés ayant un impact sur les entreprises. Pour les entreprises opérant dans des zones de conflit, le risque le plus pressant est celui découlant de l'implication dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Ces deux accusations diffèrent sur deux points. Les crimes de guerre ne peuvent être commis que pendant un conflit armé, alors que les crimes contre l'humanité peuvent avoir lieu en l'absence de conflit. En outre, une attaque généralisée ou systématique contre la population civile est nécessaire pour que les crimes contre l'humanité puissent être poursuivis. Les deux crimes peuvent être poursuivis aux niveaux international et national. Voir l'annexe 1.

Poursuites internationales

Au niveau international, la Cour pénale internationale (CPI) peut ouvrir des enquêtes dans des situations de conflit armé, exposant ainsi les entreprises opérant sur le territoire d'États impliqués dans un conflit armé à un risque juridique. La CPI peut poursuivre les actes criminels qui peuvent constituer des crimes contre l'humanité, notamment le meurtre, la torture et les disparitions forcées, et des crimes de guerre, tels que l'homicide volontaire, la direction d'attaques contre des civils ou la torture. Le tribunal n'est pas compétent pour les personnes morales et ne peut poursuivre que les individus ayant agi au nom de la société.

Le principal risque pour les dirigeants d'entreprises réside dans les poursuites potentielles sur la base de deux modes de responsabilité. D'une part, s'ils "aident, encouragent ou assistent de toute autre manière" la commission d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, selon l'article 25(3)(c) du Statut de Rome ; d'autre part, si, selon l'article 25(3)(d), ils contribuent au crime commis ou tenté par un groupe de personnes agissant dans un but commun. 

 

Le principal risque pour les dirigeants d'entreprises réside dans les poursuites potentielles sur la base de deux modes de responsabilité. D'une part, s'ils "aident, encouragent ou assistent de toute autre manière" la commission d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, selon l'article 25(3)(c) du Statut de Rome ; d'autre part, si, selon l'article 25(3)(d), ils contribuent au crime commis ou tenté par un groupe de personnes agissant dans un but commun.

Poursuites nationales

Les entreprises sont exposées à deux risques de poursuites au niveau national. 

Premièrement, l'entreprise opérant dans une zone touchée par un conflit et ses dirigeants risquent d'être poursuivis dans leur propre juridiction. La législation de la plupart des juridictions comprend la condamnation de la complicité de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre. En France, par exemple, le Code pénal énumère les actes criminels susceptibles de constituer des crimes de guerre dans ses articles articles 461-1 à 461-31 et ceux susceptibles de constituer des crimes contre l'humanité à l'article 212-1.

Deuxièmement, la société opérant dans une zone de conflit et ses dirigeants risquent d'être poursuivis par une juridiction tierce sur la base du principe de compétence universelle, selon lequel les crimes les plus graves, y compris les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, peuvent être poursuivis par une juridiction qui n'a aucun lien avec eux. Pour l'essentiel, ce principe a été invoqué par les procureurs européens, notamment espagnol, britannique, français et allemand, pour poursuivre des affaires impliquant des crimes graves. Ainsi, si la société mère n'est pas poursuivie dans sa propre juridiction, un autre tribunal peut engager des poursuites.   

Normes non contraignantes

En outre, des normes non contraignantes, telles que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (PNG)et les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationalespeuvent ouvrir la voie à des procédures de plaintes. 

Voir l'annexe 1.

 

2. Evaluation des risques

Lorsque vous devez prendre la décision de rester ou de partir, une évaluation du niveau d'exposition auquel l'entreprise est confrontée s’impose. Dressez une liste complète des engagements de votre entreprise avec les parties au conflit, incluant tous les niveaux de votre chaîne d'approvisionnement, et les relations les plus éloignées. Incluez le risque juridique découlant de l'exposition. Tenez compte des sanctions applicables, y compris les possibles peines d’emprisonnement, le montant maximal de l'amende encourue et l'impact sur la réputation. Tenez compte des pertes de financement potentielles qui pourraient en résulter, et du préjudice qu'elles pourraient causer à l'entreprise. Vous pouvez utiliser le tableau en annexe pour mieux comprendre le niveau d'exposition que les opérations représentent pour l'entreprise.  

Voir les annexes 2 et 3.

 

3. Mesurer les conséquences associées aux décisions de rester et de partir

Si quitter une zone de conflit peut sembler urgent, ce n'est pas toujours l'option la plus conforme, et le départ peut lui-même constituer un risque.  

Par exemple, le désengagement de l'industrie pharmaceutique d'une zone touchée par un conflit, qui entraînerait une pénurie de produits essentiels, tels que les médicaments pour les civils, peut constituer une violation du droit humanitaire international.  

La décision de partir doit, en outre, être éclairée par les circonstances qui entoureront le départ. Si le seul moyen de partir est de vendre les opérations à des individus ou des entités qui commettent des violations, alors le départ peut au contraire augmenter le niveau d'exposition au risque. Ainsi, la décision de la société norvégienne Telenor de se désengager du Myanmar peu après le coup d'État de 2021 a conduit les ONG à déposer une plainte auprès du Point de contact national norvégien pour les Principes directeurs de l'OCDE. Elles affirment que la vente des opérations n'a pas respecté les normes des Principes directeurs de l'OCDE en matière de désengagement responsable. En outre, la vente a conduit au dépôt d'une plainte auprès de l'autorité norvégienne de protection des données, affirmant qu'elle entraînerait une violation du règlement général sur la protection des données (RGPD) de l'UE, augmentant ainsi considérablement l'exposition de l'entreprise au risque pénal.

 

4. Partez dans les meilleures conditions

Les conditions du départ de l'entreprise doivent également être soigneusement étudiées et la réglementation prise en compte. Par exemple, le droit du travail national applicable à l'entreprise peut prévoir l'obligation pour l'employeur d'assurer la sécurité de ses employés, comme c'est le cas en France. L'entreprise qui décide de quitter une zone touchée par un conflit devra donc organiser l'évacuation de la zone des employés envoyés travailler à l'étranger et soutenir les employés locaux. Ce faisant, l'entreprise doit veiller à ne pas participer à des violations du droit international humanitaire, en particulier à tout projet entraînant le déplacement forcé de populations civiles, qui pourrait être constitutif de crimes de guerre. 

 

Conclusion

Un processus conformité n’a de sens que si vous pouvez démontrer qu’il a été respecté. Il est indispensable de documenter chaque mesure que vous prendrez pour vous conformer à votre stratégie de sortie, y compris :

  • Emails,

  • Messages via applications de messagerie,,

  • Comptes rendus de réunions datés,

  • Commandes,

  • Billets d'avion,

  • Factures,

  • Actes de vente.

Privilégiez l'écrit aux instructions et discussions orales. Conservez tous les documents en sécurité. Veillez à ce que votre documentation soit claire, directe et ne laisse aucune place à l'ambiguïté.  


Enfin, si ce guide vise à combler les lacunes que peut créer l'absence d'une stratégie pensée en amont de la crise, toute entreprise opérant dans des zones sensibles aux conflits doit avoir un plan de sortie prêt, prévoyant quand et comment l'entreprise doit partir. Ce document détaillera la réponse de l'entreprise en fonction d'un ensemble de signaux conduisant à la crise et, finalement, les conditions qui résulteront à la décision de partir.   

 
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