Conception d'armes nouvelles : intégrer l'examen de licéité à l'innovation
Le droit international humanitaire impose aux états de s’assurer que l’emploi « d’une nouvelle arme, de nouveaux moyens ou d’une nouvelle méthode de guerre » est autorisé. Pour respecter cette obligation, ils procèdent, lorsque de nouvelles armes sont étudiées dans l’objectif d’équiper leurs forces armées, à un examen de licéité. Un examen que les entreprises concevant du matériel destiné aux armées doivent intégrer dès le stade de recherche et développement.
POURQUOI CET EXAMEN DOIT-IL ÊTRE PRIS EN COMPTE PAR LES ENTREPRISES DE LA DÉFENSE ?
Si la fabrication, la commercialisation et l’intermédiation de matériel militaire sont encadrées et nécessitent l’octroi d’une autorisation (l’AFCI), l’examen de licéité doit être intégré dès le stade de recherche et développement dans l’objectif de concevoir des technologies que les forces armées pourront effectivement acquérir. En effet, une arme qui ne satisferait pas à l’examen serait, de fait, écartée de toute procédure d’acquisition. Prendre en compte cette contrainte dès le stade de recherche et développement et par la suite permet de s’assurer que la technologie répond aux caractéristiques exigées par les forces armées, et de mettre en œuvre les corrections requises le cas échéant.
LES ARMES ET TECHNOLOGIES PROHIBÉES
Deux types de limites viennent restreindre le type d’armes auquel les états peuvent recourir :
les limites imposées par les principes généraux du droit des conflits armés, qui s’imposent à tous les états ;
et celles imposées par des instruments juridiques spécifiques, traités et conventions qui s’imposent aux états qui ont accepté de s’y soumettre.
LES ARMES PROHIBÉES PAR LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT DES CONFLITS ARMÉS
Parmi les principes généraux du droit des conflits armés pris en compte dans l’examen de licéité figurent le principe d’humanité et celui de distinction.
Malgré les nombreux désaccords émaillant le droit des conflits armés, certains principes ont obtenu le statut de coutume, et s’appliquent universellement à l’ensemble des états. Parmi ceux-ci, deux sont pris en compte dans l’examen de licéité : le principe d’humanité, ou de prohibition des maux inutiles ; et celui de distinction. En outre, l’impact des armes sur l’environnement est, de même, de nature à influencer le contrôle.
1. Les armes causant des maux superflus
Prévu par l’article 35 du Protocole Additionnel I aux Conventions de Genève, le principe d’humanité encadre les armes pouvant être utilisées contre les combattants. Il est ainsi « interdit d'employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus. »
De façon non-exhaustive, seraient inclus dans cette prohibition :
le poison ;
les lasers aveuglants ;
les armes infligeant des éclats non localisables, qui, par exemple, auraient pour effet de disséminer des éclats de verre dans le corps humain ;
les armes incendiaires, telles les lance-flammes, celles contenant du napalm, qui cause des brûlures sévères, ou du phosphore blanc, pouvant asphyxier.
2. Les armes enfreignant le principe de distinction
Autre principe cardinal du droit des conflits armés, le principe de distinction impose de distinguer entre population civile et combattants, ainsi qu’entre biens civils et objectifs militaires. Des armes qui ne permettraient pas aux forces armées de respecter ce principe seraient donc, de fait, illicites.
Le Protocole Additionnel I dispose ainsi en son article 51 que :
Les attaques sans discrimination sont interdites. L'expression «attaques sans discrimination» s'entend :
(...)
b) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire déterminé ; ou
c) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le présent Protocole ;
Parmi les armes prohibées en vertu de ce principe, figurent notamment :
les missiles dépourvus de systèmes de navigation, ou prévoyant un périmètre d’atteinte trop large. Le Manuel britannique de droit des conflits armés inclut dans cette liste les missiles « dont l’imprécision ne permettrait pas de cibler des objectifs militaires », citant à titre d’exemple les Scuds utilisés pendant la Guerre du Golfe ;
les armes bactériologiques, dont les effets ne peuvent être contenus ;
les mines déposées au sol sans considération de la cible ;
les explosifs attachés à des ballons non dirigeables.
3. Les armes causant des dommages environnementaux
Deux instruments ont vocation à protéger l’environnement dans le conflit armé, chacun avec un objectif distinct. D’une part, le Protocole Additionnel I, à l’article 35(3), vise à prohiber les « méthodes ou moyens de guerre qui sont conçues pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel ». D’autre part, la Convention ENMOD (Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles) vise à prohiber la modification de l’environnement et de la météo à des fins militaires. Les armes dont l’utilisation ferait obstacle au respect de ces principes seraient dès lors prohibées.
LES ARMES PROHIBÉES PAR DES TRAITÉS MULTILATÉRAUX
Aux principes généraux viennent en outre s’ajouter des prohibitions introduites par des instruments spécifiques, traités et conventions internationales auxquels certains états ont souhaité se soumettre. Certains insistent sur la prohibition de certaines technologies dont l’emploi, de fait, serait contraire au droit général des conflits armés. D’autres étendent la prohibition à des armes, moyens et méthodes que les principes généraux du droit international ne prohiberaient pas.
Aux principes généraux viennent en outre s’ajouter des prohibitions introduites par des instruments spécifiques, traités et conventions internationales auxquels certains états ont souhaité se soumettre.
Parmi ceux-ci figurent notamment :
la Convention 1972 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction ;
celle de 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction ;
ou celle de 2008 sur les armes à sous-munitions.
Ce corpus de textes, auxquels la France est partie, a pour conséquence ou insiste sur la prohibition, entre autres :
le poison ;
les lasers aveuglants ;
des armes à éclats non localisables, qui, par exemple, auraient pour effet de disséminer des éclats de verre dans le corps humain. Déjà contraires au principe de prohibition des maux superflus, ces armes ont ensuite fait l’objet d’une convention dédiée à leur prohibition ;
des armes à sous-munitions, définies comme « une munition classique conçue pour disperser ou libérer des sous-munitions explosives » ;
des mines antipersonnel, définies comme celles conçues « pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d'une personne et destinée à mettre hors de combat, blesser ou tuer une ou plusieurs personnes » ;
les armes chimiques ;
les armes biologiques et bactériologiques.
L'EXAMEN JURIDIQUE
Chaque état élabore la procédure qui lui permettra de respecter ses obligations. Certains états, dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la France, ont rendu public leur procédure de l’examen de licéité. En France, c’est l’instruction ministérielle n°6255/ARM/CAB du 31 octobre 2019, relative à l’examen de licéité des nouvelles armes et des nouveaux moyens et méthodes de guerre, qui détaille cette procédure.
Quelles technologies ?
Est soumis à l’examen de licéité tout dispositif offensif ou défensif conçu pour, directement ou indirectement, tuer, endommager, neutraliser des personnes ou des biens, notamment les armes et moyens de tous types, qu’ils soient létaux ou non, destinés à un usage antipersonnel ou anti-matériel.
Le périmètre est donc large, couvrant les armes lourdes, légères, et de petit calibre, mais aussi les systèmes d’armes et, plus largement, toute technologie conçue pour endommager et neutraliser des biens, blesser, et tuer. L’examen concerne en outre à la fois les technologies et les doctrines d’emploi.
Armes, moyens et méthodes "nouveaux"
Une arme, un moyen ou une méthode est réputé nouveau lorsque l’armée procédant à son examen n’en est pas dotée.
A quel moment ?
L’examen de licéité est exécuté au moment de l’étude, de la mise au point, de l’acquisition ou de l’adoption de ces nouvelles armes, moyens ou méthodes.
Par qui ?
C’est à l’État qu’incombe l’obligation de procéder à l’examen, et il ne peut déléguer sa mise en œuvre.
Comment ?
L’examen français comprend deux phases. Un contrôle préliminaire, réalisé par l’Etat-Major des Armées (EMA) et la Direction Générale de l’Armement (DGA), consiste d’abord à déterminer si l’arme entre dans le champ d’application de l’examen. Dans l’affirmative, le contrôle de licéité à proprement parler est mené par un comité composé de l’EMA, la DGA et la Direction des Affaires Juridiques.
L’examen peut avoir trois issues :
L'arme, le moyen ou la méthode est jugé(e) légal(e) et l'examen est clos.
L’arme, le moyen ou la méthode n’est pas contraire au droit international en tout circonstance. Alors, « une adaptation technique des projets d’armement ou des doctrines d’emploi » peut permettre d’assurer sa licéité.
L’arme, le moyen ou la méthode est contraire au droit international en tout circonstance. Alors, il est écarté.
CONCLUSION
Les entreprises concevant des technologies militaires doivent faire face à plusieurs défis dans l’incorporation du contrôle de licéité.
D’abord, chaque état élabore sa procédure de contrôle. Une entreprise qui souhaiterait proposer sa technologie à plusieurs forces armées doit donc se plier à chaque procédure.
En outre, les entreprises doivent tenir compte de la manière dont chaque Etat interprète les obligations qui lui sont imposées. C'est le cas, par exemple, de l'interdiction de "causer des souffrances inutiles", dont les contours ne font pas l'objet d'un consensus. Cela résulte notamment des variations sémantiques d'un texte à l'autre, certains interdisant les armes susceptibles de causer des souffrances inutiles, d'autres les armes conçues à cet effet. De même, certains États adoptent des positions ambivalentes sur la valeur des traités. C'est le cas, par exemple, des Etats-Unis qui ne reconnaissent pas dans l'article 35(3) du Protocole additionnel I, précité, une manifestation du droit coutumier qui s'appliquerait à tous les Etats.
Prendre en compte ces défis, et intégrer dès le stade de R&D le contrôle de licéité que les états sont tenus d’exercer sur les armes nouvelles permet donc aux entreprises d’orienter leurs recherches, et de s’assurer de la pertinence de l’allocation des ressources. L’examen de licéité est d’autant plus indispensable que la technologie développée est innovante.
Inscrivez-vous à notre lettre d'information pour vous tenir au courant des développements dans votre secteur d'activité :